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Préambule au numéro 3 de SFRP

« Pour appréhender une problématique aussi complexe que de la compétence culturelle en limitant au maximum approximations et confusions, il me semble nécessaire de commencer par définir le champ conceptuel dans son ensemble – et le concept générique correspondant ne peut être que celui de « compétence culturelle », puisque c’est sémantiquement le plus général –, puis de définir ses différentes composantes – et ce que l’on appelle l’ « interculturel » et le « pluriculturel » ne peuvent être que deux composantes différentes de cette compétence culturelle générale. Ce n’est qu’ensuite que l’on pourra appréhender la complexité de l’ensemble en termes d’articulations, de combinaisons ou d’intersections possibles entre ces différentes composantes, ainsi qu’avec les autres que nous verrons plus avant. Dans les années 1970-1980, on définissait la « compétence communicative » par l’énumération de ses composantes  : par exemple «  composante linguistique », « composante discursive », « composante référentielle » et « composante socioculturelle », pour reprendre l’un des modèles les plus connus en FLE, celui proposé par Sophie MOIRAND dans son ouvrage de 1982.Il en est de même dans le CECRL, où la « compétence à communiquer langagièrement » (titre du chap. 1.1.2, p. 17) est présentée ainsi :La compétence à communiquer langagièrement peut être considérée comme présentant plusieurs composantes  : une composante linguistique, une composante sociolinguistique, une composante pragmatique. Chacune de ces composantes est posée comme constituée notamment de savoirs, d’habiletés et de savoir-faire. (p. 17)
Ces « composantes » sont ensuite reprises et développées dans le même chapitre sous l’appellation de « compétences » (« compétence linguistique », p. 17 ; « compétence sociolinguistique » et « compétence pragmatique », p. 18), mais elles n’en restent pas moins conçues comme des parties constitutives d’une compétence générale, à savoir la « compétence de communication langagière ».
Je ne vois vraiment pas pourquoi et comment on pourrait se passer pour la culture, qui est un objet au moins aussi complexe que la langue, d’un cadre conceptuel structuré de manière identique, afin de permettre ce que l’on appelle en logique une « définition par extension » : pour la culture aussi, il faut un concept générique – et ça ne peut être que « compétence culturelle » – et ensuite uneliste des différentes composantes, dont feront forcément partie les composantes interculturelle et pluriculturelle, même si on les nomme « compétences ». Ce n’est qu’à cette condition que l’on peut définir rationnellement ces différentes composantes les unes par rapport aux autres : on a besoin de connaître ce qui les réunit, ce qu’elles ont en commun, avant de pouvoir les organiser les unes par rapport aux autres en fonction de ce qui les distingue : les différences ne peuvent apparaître clairement que sur un fond de ressemblance. Il se trouve que cette règle ne vaut pas seulement pour le travail conceptuel, mais aussi pour la « découverte » ou la « rencontre interculturelle », où les différences ne peuvent être appréhendées qu’à partir et en fonction de la reconnaissance des ressemblances, qui suppose l’existence d’un« transculturel » (qui correspond, comme nous le verrons plus avant, à une autre composante de la compétence culturelle).
Cette mise en ordre conceptuelle me semble non seulement nécessaire, mais urgente, et cela pour plusieurs raisons :
(1) Parce que l’interculturel a eu tendance depuis trois décennies – les institutions internationales telles que l’OCDE, l’UNESCO ou le Conseil de l’Europe, les didacticiens spécialistes et leurs nombreuses publications aidant –, à envahir tout le champ conceptuel de la culture en didactique des langues-cultures. On en est venu par exemple à ne parler éventuellement du « culturel », dans les colloques et revues, qu’à l’occasion de l’étude de l’ « interculturel » (c’est ce que l’on appelle plaisamment « marcher sur la tête »…) ;ou encore à considérer comme relevant de l’approche interculturelle la comparaison explicite de réalités culturelles, comparaison qui relève en réalité de ce que l’on peut appeler le « métaculturel » : l’approche comparative porte en effet sur les connaissances, alors que l’approche interculturelle porte sur les représentations.2. Même si l’on considère – ce qui est discutable, mais admettons-le pour l’occasion – que les connaissances peuvent faire évoluer les représentations, on distingue bien alors, malgré tout, une approche métaculturelle qui serait un moyen au service d’une approche interculturelle.
(2) Parce que la Division des Politiques Linguistiques (DPL) du Conseil de l’Europe a récemment aggravé la confusion ambiante en abandonnant sans débat public et sans plus d’explications, depuis la publication du CECRL, le concept de « pluriculturel » – qui y était largement développé dans le cadre d’une nouvelle « compétence plurilingue et pluriculturelle » annoncée –, pour revenir au seul concept d’ « interculturel » : depuis le milieu des années 2000, les publications du DPL mettent en avant la « compétence » ou l’ « éducation plurilingue et interculturelle », diffusant ainsi une expression conceptuellement aussi confuse que bancale.3
(3) Parce que les enjeux de l’éducation (a) métaculturelle, (b) interculturelle et (c) pluriculturelle sont différents : il s’agit en effet de préparer les apprenants, respectivement, (a’) à poursuivre un apprentissage individuel de la culture étrangère à distance, par documents authentiques interposés ; (b’) à découvrir la culture étrangère sur le terrain, dans la rencontre avec des natifs ; (c’) à vivre en permanence dans un environnement multilingue et multiculturel, comme lorsque, en tant qu’étranger, on s’installe définitivement ou du moins durablement dans un nouveau pays. (4) Parce qu’avec le nouvel objectif social et la nouvelle situation sociale de référence que les auteurs du CECRL ont fixés désormais à l’enseignement apprentissage des langues-cultures étrangères en Europe – celui de former un « acteur social » dans une société multilingue et multiculturelle –, il ne s’agit plus seulement de préparer les apprenants à vivre avec les autres, mais à agir avec eux, aussi bien dans le domaine public – pour « faire société » avec les autres citoyens – que dans le domaine professionnel,pour travailler ensemble au sein d’une même entreprise.4
2. Les différentes composantes historiques de la compétence culturelle
Le tableau suivant présente schématiquement les différentes composantes de la compétence culturelle telles qu’elles ont été privilégiées au cours de l’évolution de la didactique des langues cultures. En termes de méthodologie constituée ou d’orientation méthodologique, elles correspondent respectivement (1) à la méthodologie traditionnelle grammaire-traduction, dominante jusqu’à la fin du XIXe siècle, (2)  à la méthodologie active, méthodologie officielle dans l’enseignement scolaire français des années 1920-1960, (3) à l’approche communicative des années 1970-19905, (4) à ce que l’on appelle actuellement « la/les didactique(s) du plurilinguisme », et (5) à la perspective actionnelle. Une fois les composantes culturelles ainsi différenciées, on peut analyser les situations où elles s’articulent, se combinent ou se superposent partiellement. Quelques exemples :
(1) Pour vouloir et pouvoir établir un contact positif avec un étranger (et mettre alors en œuvre la composante interculturelle de la compétence culturelle), il faut préalablement avoir reconnu chez lui un être humain et un être culturel à part entière, comme soi-même, et considérer que toute culture est susceptible d’enrichir toute autre : tout cela correspond à la mise en œuvre de valeurs universelles (composante transculturelle).
(2) Les contacts interculturels, lorsqu’ils se maintiennent dans la durée au sein de la même société, produisent forcément des phénomènes de métissage, c’est-à-dire du pluriculturel.
(3) Historiquement, l’approche interculturelle s’est constituée par rapport à la situation sociale de référence de l’approche communicative, celle qui a été prise en compte par les auteurs des Niveaux Seuil du début des années 1970, à savoir le voyage touristique, où il s’agit de rencontresinitiales et ponctuelles avec des étrangers de passage : on retrouve cette liaison structurelle entre les deux approches dans l’expression consacrée et très utilisée de « dialogue interculturel » (« dialogue » renvoyant à « communication »), ainsi que dans la présence du sème inchoatif (indiquant qu’il s’agit du début de l’action) dans toutes les expressions équivalant à ce que l’on appelait auparavant «  l’enseignement de la civilisation  »  : «  rencontre, approche, découverte, sensibilisation interculturelles ». Mais dès qu’il y a répétition et continuité dans la durée, comme c’est le cas lorsqu’il s’agit de vivre et de travailler ensemble, la composante interculturelle de la compétence culturelle ne suffit pas, et les composantes pluriculturelle et co-culturelle se trouvent forcément mobilisées. Un étranger qui s’installe en France et commence à vivre et travailler dans ce pays va bien sûr devoir gérer de nombreuses situations de contact interculturel, mais la composante interculturelle de la compétence culturelle qu’il mettra alors en œuvre ne sera qu’un moyen au service de l’acquisition des composantes pluriculturelle et co-culturelle, et non plus une fin en soi comme cela est le cas au cours des voyages touristiques, où il s’agit seulement de situations où l’on rencontre pour la première fois des étrangers que l’on va quitter très vite, et définitivement.
(4) Dans mon article 2011 cité plus haut (voir Introduction et note 1), je cite le sociologue Jacques DEMORGON, qui explique ainsi pourquoi il faut tenir compte, dans les sociétés actuelles, à la fois du multi-, du trans- et de l’interculturel :
Prenons le cas de l’Europe, si discuté en ce moment. On y trouve incontestablement des situations multiculturelles, non seulement entre les nations européennes mais à l’intérieur de nombre d’entre elles. Parfois, elles s’accompagnent même de conflits violents qui s’éternisent comme ceux du Pays Basque sinon d’Irlande du Nord. En même temps, beaucoup, en Europe, tentent de promouvoir une unité transculturelle. L’interculturel est écarté dans les deux perspectives, il est vrai, de façon différente et même opposée. Par rapport aux stratégies d’opposition multiculturelles, il fait figure d’illusion idéaliste. Par rapport au transculturel, il passe pour un agitateur des différences culturelles, alors qu’il faut, au contraire, souligner les ressemblances. Ainsi, on comprend mieux l’erreur de ceux qui misent sur l’interculturel comme solution. […] Certes, sous leurs diverses formes, le multiculturel, le transculturel et l’interculturel ont pu être pris pour des solutions satisfaisantes, successivement selon les moments, et même simultanément dans des lieux différents. Il serait sage de voir que le maintien de cet antagonisme ternaire est une précaution par rapport à la complexité du réel dans laquelle nous devons être capables de vivre et d’agir ensemble. (p. 399 et p. 400)
En tant que sociologue, J. Demorgon a recours au concept de « multiculturel », qui correspond simplement au constat d’une coprésence de différentes cultures dans la même société, alors que le concept de « pluriculturel » correspond à un projet de formation de citoyens qui, ayant vécu « une expérience diversifiée de la relation à plusieurs langues et cultures autres », sont capables de mettre en œuvre « des combinaisons, des alternances, des jeux sur plusieurs tableaux » et « des savoir-être soulignant l’ouverture, la convivialité, la bonne volonté (dans la gestuelle, les mimiques, la proxémique générale) ».7 Il n’en reste pas moins que, comme le dirait Monsieur de la Palice, il ne peut y avoir d’interculturalité que s’il y a présence de cultures différentes, et donc multiculturalité, alors même que les contacts interculturels exigent, pour se maintenir dans la durée, des valeurs transculturelles partagées, et qu’ils modifient progressivement les cultures individuelles et collectives. On voit que, contrairement à une approche de la compétence culturelle par la seule composante interculturelle, qui tend à figer les individus en tant que cultures et de l’interculturel (Paris : Anthropos, 2000, 332 p.) et Critique de l’interculturel. L’horizon de la sociologie (Paris : Economica/Anthropos, 2005,  222 p.)représentants d’une culture déterminée, la prise en compte des différentes composantes de la compétence culturelle permet de retrouver la dynamique fondamentale des processus culturels : on peut endosser et conserver par exemple le costume du Français et son interlocuteur celui de l’Allemand quand la rencontre est première et ponctuelle, mais ces vêtements se trouvent être rapidement bien trop étroits, et même se révéler en partie être des déguisements, lorsqu’il y a début de vie et de travail en commun…

(…)
Christian Puren dans le sfrp3-place-competenceculturelle-print-1 Attention toutefois, il s’agit du prototype de la maquette du numéro, quelques erreurs se sont glissées dans ce numéro, merci de ne pas diffuser en l’état.

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Didac-ressources
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