La formation à visée professionnelle d’adultes en insertion : champs, outils, expériences

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Le second numéro de la revue SFRP a pour ambition de créer une synergie entre terrain et recherche. Le comité de lecture réunit des universitaires garants de la rigueur scientifique des contributions1. SFRP s’adresse à la fois aux chercheurs et aux acteurs de la formation d’adultes qu’ils soient formateurs, responsables pédagogiques, formateurs de formateurs, ou encore acteurs institutionnels. En conséquence, la ligne éditoriale de SFRP est construite autour d’un domaine amphigourique et inconstant dont les enjeux sont tout autant didactiques, socio-culturels que politiques et éthiques. Les approches et les expériences se confrontent à travers un espace commun d’échange. Les problématiques abordées entretiennent de fortes relations avec l’enseignement du français en tant que langue non maternelle 2 où l’usage de la langue est pour une grande part conduit en contexte homoglotte. Elles mettent en relief les enjeux afférents à la formation linguistique, sociale, et professionnelle dite « d’insertion/intégration ». Ce champ, désormais reconnu institutionnellement à travers la création du référentiel Français Langue d’Intégration (FLI), s’enrichit des apports de la Didactique des Langues-Cultures, le Français Langue Etrangère, le Français Langue Seconde, le français en contexte professionnel, la linguistique, la sociolinguistique, les sciences de l’éducation, la sociologie, l’anthropologie, voire même parfois la psychologie ou l’histoire. Une part importante est donnée à la recherche-action, un processus de décontextualisations et de conceptualisation convoquant une posture réflexive qui permet de lier les apports scientifiques à la réalité. Le choix du sujet s’est fait en concertation avec les membres du comité de lecture, nous tâchons de proposer des thèmes proches de l’actualité. La formation à visée professionnelle est une préoccupation récurrente du terrain. La notion de « formation tout au long de la vie » (long-life Learning), est portée par les pouvoirs publics européens, et la formation linguistique est désormais reconnue, depuis 2004, au titre de la formation professionnelle. Les personnes doivent non seulement pouvoir trouver leur place au niveau social et professionnel mais aussi assurer leur promotion dans un contexte exigeant. La mobilité géographique ou à l’intérieur de l’entreprise oblige à mettre en œuvre les moyens d’une adaptation des compétences déjà acquises ou à acquérir à la conjoncture. L’accès à des formations opérantes doit faciliter l’insertion. Ceci signifie une organisation formative ajustée à la variété des situations et des besoins. Nonobstant, il n’est pas question ici de se limiter à la gestion des parcours professionnels en terme d’employabilité du salarié. Les compétences analysées au travers les articles proposés sont à la fois celles du stagiaire et celles du formateur. Pour tous deux, les capacités de mise en œuvre techniques sont liées à une fonction et à un poste mais également à des compétences posturales face à des relations spécifiques en milieu professionnel. Ainsi, les contributions de ce numéro apportent-t-elles des analyses de terrain et des réflexions sur les notions et les enjeux de la formation professionnelle. Les contributeurs sont le plus souvent des praticiens réflexifs qui renvoient à la production de savoirs en situation d’agir professionnel. Paolo Freire disait que « sous-estimer le savoir de l’expérience, c’est à la fois une erreur scientifique et l’expression d’une idéologie élitiste ». Nous considérons que les compétences issues d’une expérience professionnelle sont porteuses de ce que Malglaive désigne comme « savoirs pratiques » et que Barbier nomme les « savoirs d’action ». La formation à visée professionnelle interroge les chercheurs autant que les praticiens et selon des perspectives parfois contradictoires qui sont celles des apprenants qui changent de métier, celles des formateurs et enfin, celle des chercheurs. Des grilles de lecture différentes qui jalonnent le cadre conceptuel. Ce dossier est donc composé de six contributions organisées en deux grandes parties. La première cerne le champ et les notions qui lui sont associées. La didactique professionnelle mise en place dans la seconde partie, a pour aboutissement une analyse de terrain et l’étude constructive des compétences professionnelles engagées. Le premier article est empreint d’une actualité prégnante, puisque le douze octobre dernier, le référentiel FLI était présenté à la maison de l’Europe à Paris. On peut y lire que : « Le terme FLI donne un nom à une réalité qui s’est construite et autonomisée par rapport aux autres champs didactiques et professionnels qui lui sont proches (…) il s’agit de personnes qui sont en situation d’immersion linguistique dans la société d’accueil pour des raisons sociales et non pédagogiques ; elles sont en milieu homoglotte et apprennent donc autant, sinon davantage, le français en milieu social, au contact direct des natifs, qu’en formation guidée ». L’écrit d’Aude Bretegnier, fait écho à l’ouvrage qu’elle a coordonné, « Formation linguistique en contextes d’insertion 7» et qui a été publié un an avant la sortie du référentiel FLI. La maitrise des compétences clés, linguistiques, professionnelles est engagée dans des dispositifs qui visent l’insertion ou l’intégration, deux notions qui, précise-t-elle, « ne renvoient pas à un mouvement unidirectionnel et homogénéisant, mais sont réfléchies comme processus interactionnels et de constructions/transformations réciproques ». Des processus qui relèvent de ce que Beate Collet 8 décrit ainsi : « le processus de participation au cadre politique et normatif que représente la société qu’on appelle « intégration », résulte de l’interaction qui s’établit entre les structures et les possibilités d’action, il s’élabore donc dans la dynamique entre les conditions structurelles, notamment juridiques, et les comportements et attitudes des acteurs ». Il devient alors fondamental de donner sa place à la dimension politique et citoyenne dans une réflexion qui renvoie à « l’ordre politique même de la société », D. Schnapper parle de « socialisation ». Une vision reprise, en partie, par Emilie Perrichon dans son article intitulé : « Evolution historique de l’agir social dans les configurations didactiques en «français de spécialité ». Elle y clarifie le sens des notions liées au français professionnel d’un point de vue diachronique et à la lumière de l’émergence de la perspective actionnelle et de la notion de l’agir social, passant ainsi du domaine du savoir et savoir-faire à celui de la coaction. Communiquer en milieu professionnel n’est pas seulement interagir, mais c’est aussi, et surtout, agir sur ce milieu. Ainsi, l’idée d’une langue instrumentale, telle qu’imaginée dans les années 1970, a évolué vers un acte plus individualisé dans une communication socialisée, puis « le FOS comme l’approche communicative a permis de placer l’apprenant au centre de l’enseignement/apprentissage. On répond à ses besoins pour qu’il puisse communiquer avec ses collègues. Toutefois, si avec le FOS, la communication est considérée comme une fin en soi, en Français Langue Professionnelle, deviendrait selon l’auteure, un moyen d’action. E. Perrichon suggére la notion de « Français Langue d’Action Professionnelle » qui correspondrait alors à un « enseignement/apprentissage par et pour l’action ». L’apprenant est amené à travailler avec ses pairs pour co-construire des projets d’apprentissage communs et orientés vers un projet professionnel et social. La Co-construction des savoirs et des compétences est prioritaire et permet de s’accomplir professionnellement et socialement : « L’enjeu actuel n’est plus seulement de « travailler avec » d’autres, mais d’agir ensemble, de coopérer et de collaborer dans la durée et pour un objectif commun ». Dans ce processus d’apprentissage actif, il faut être en mesure de porter un regard objectif sur ses propres agissements. Aurore Barrot et Marie-Hélène Lachaud focalisent leur analyse sur l’acquisition de compétences issues de l’expérience et sur l’utilité de leur formalisation. Elles se positionnent dans le champ de la didactique du Français Langue Professionnelle et croisent leur raisonnement à la lumière des études qu’elles ont pu mener dans le cadre de leurs Doctorats en Science du Langage. Soucieuses de « tenir compte des besoins spécifiques des apprenants adultes », elles mettent l’accent sur ce qu’elles nomment le « non-dit » ; introduit ici comme élément à intégrer dans la formation. Elles posent ainsi l’hypothèse que des employés mettent en œuvre des compétences empiriques et transversales pour rentre leur travail plus efficace et qu’il est essentiel d’incorporer ces apports dans l’organisation même de la formation grâce au relevé des propos réflexifs des sujets observés. Elles démontrent alors que ces compétences transversales, souvent extra discursives, peuvent se définir comme des « compétences génériques mobilisables en situation professionnelle ». Ceci oblige à travailler à partir du contexte d’usage de la langue, c’est un travail préalable à toute action de formation particulièrement en Français Langue Professionnelle. Elles rejoignent en cela, Emilie Perrichon lorsqu’elle évoque l’agir social de référence. En conséquence, le travail antérieur à la formation, qui consiste à saisir les besoins en contexte doit figurer comme temps indispensable à la construction d’un plan de formation et être revendiqué comme tel dans la gestion financière des dispositifs. La seconde partie de cet ouvrage est consacrée aux recherches-actions et aux retours d’expériences, Djaouida Hamdani Kadri et Svetla Kaménova fondent leur analyse sur deux expérimentations réalisées au Québec et sur le programme d’intégration linguistique des migrants. Le contexte québécois, est différent du contexte d’enseignement du français aux migrants en France et c’est l’occasion de le découvrir dans cet article. Leur axe de recherche s’articule autour de la motivation, des attentes et des représentations exprimées par deux groupes d’apprenants allophones. Les premiers sont en contexte professionnel et suivent des cours en entreprise combinés à l’autoformation en ligne et les seconds font leur apprentissage en milieu communautaire (dont la majorité parle le mandarin). L’analyse de la motivation des apprenants trouve des similitudes aux deux groupes, notamment sur la volonté d’insertion. La répartition des groupes est plus homogènes au Canada qu’en France et les différences de profils sont largement exploitées ; les plus avancés travaillent en binôme avec ceux qui rencontrent plus de difficultés. Aurélie Bruneau pose quant à elle, son regard expert et non misérabiliste, comme c’est, selon elle, trop souvent le cas en formation professionnelle de publics migrants. Elle expose le contexte politique et institutionnel d’un projet d’action formative aux métiers de la petite enfance et problématise les obstacles socio langagiers et les représentations identitaires qui émergent dans les interventions de la part des intervenants comme de celle des stagiaires. Dans ce projet qui vise l’insertion professionnelle, la dimension linguistique est posée non comme un but mais comme une composante de la formation. Elle doit donc être pensée comme un parcours qui invite les différents acteurs de l’insertion à travailler en complémentarité. Enfin, Sophie Le Gal attire notre attention sur l’importance de l’orientation qui s’effectue en amont des formations professionnelles, elle évoque un retour d’expérience sur trois années passées sur plates-formes de l’OFII. Elle analyse l’organisation des tests des plates-formes en regard de l’attente des migrants et vis-à-vis d’une insertion professionnelle. Elle en pointe les lacunes et ne manque pas de fournir des préconisations. Sa définition du Français Langue Professionnelle reprend l’analyse de Florence Mourlhon-Dhallies pour qui il importe de combiner l’enseignement du français aux spécificités d’une langue professionnelle. Ainsi, « Une formation en français à visée professionnelle pourrait aider les migrants à trouver un emploi ou s’y préparer à condition que cette formation soit bien organisée et bien définie au niveau des objectifs d’enseignement/apprentissage. Pour cela, il faut que l’orientation des migrants vers ce type de formation soit bien préparée en amont». Ceci pointe explicitement les pratiques d’évaluation des compétences de communication des adultes migrants, les outils utilisés et l’orientation réalisée et sur les plates-formes d’accueil. Nous clôturons ce numéro par une note de lecture proposée par Thomas Dumet Maître de conférences en Sciences de l’Education au Centre Interuniversitaire de Recherche en Education de Lille et qui, fruit du hasard, présente l’ouvrage évoqué dans l’article d’Aude Bretegnier. Ainsi, la boucle est-elle bouclée mais nous savons bien de la réflexion reste ouverte sur le sujet et qu’au-delà des aspects théoriques et pratiques, c’est aussi la question de la posture des intervenants qui est posée et avec elle, la définition d’une éthique d’action dans un champ tel que celui de l’insertion/ intégration/promotion professionnelle ou sociale. Cette question participe implicitement aux activités d’une formation et d’un accompagnement non discriminatoire.

Sophie ETIENNE Rédactrice en chef

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Didac-ressources
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