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24 janvier 2017
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Au cinéma et à la télévision, les habitants des banlieues sont habituellement présentés comme étant des délinquants, des gens ayant un esprit rétrograde, facilement influençables, des femmes voilées, obscurantistes et sans voix, etc. Pourtant, ces qualifications s’appliquent à une partie de personnes quelque soit sa provenance. D’ores et déjà, les médias contribuent largement à la stigmatisation des habitants des banlieues. Questions : Pourquoi la banlieue est-elle souvent représentée comme la base arrière du terrorisme ? Derrière la représentation de la marginalité et le discours sur les quartiers en difficulté, y a-t-il des prises d’opinion politiques ?
Représentés comme des groupes sociaux complètement hors-norme, les habitants des banlieues sont classés dans une catégorie considérée « anormale » et fortement stigmatisée par la faute du discours médiatique. Et pour parler de stigmate, il convient tout d’abord de définir le terme. On retiendra, dans ce sens, la définition proposée par Erving Goffman ; le stigmate se développe dans le regard d’autrui. Il y a donc stigmate lorsqu’il existe un écart entre l’identité sociale réelle d’un individu, ce qu’il est, et l’identité sociale virtuelle d’un individu, ce qu’il devrait être. Ainsi, la stigmatisation se fonde principalement sur des stéréotypes et des opinions articulées sur des mythes.

Banlieue et terrorisme religieux : Trompeuses ressemblances
Face au prisme médiatique par lequel les événements sont publicisés, distinguer les banlieues des quartiers dangereux s’avère ardu. De ce fait, la couverture médiatique des faits met en scène un cadre interprétatif façonnant la perception collective des vrais problèmes publics, et c’est cette influence des médias qui mène à questionner la construction ou encore la fabrication de l’événement journalistique. Dès lors, quelles logiques journalistiques emportent pour reconnaître un certain phénomène? Dans quelles mesures les médias font-ils circuler des amalgames entre terrorisme et banlieue? Sont-ils capables d’interférer dans le jeu politique ou sont-ils intrinsèquement aliénés aux considérations politiques ? Est-ce que les médias sont des entreprises de politisation ou de dépolitisation ?
Le fait d’associer le terrorisme religieux aux banlieues est en soi-même une déformation de la réalité. En effet, le traitement journalistique de cette question n’est pas neutre ; les médias ont tendance à corréler les deux concepts : terrorisme et banlieue dans un titre consciencieusement choisi, qui fait ressortir des éléments spectaculaires afin de retenir l’attention du public. Par là, les médias s’éloignent grandement du principe d’objectivité. La mythification et l’exagération interrogent. Dans ce sens, Jean-Claude Passeron martèle cela dans ses propos en rappelant que, au moment de leur fabrication de l’événement, « les journalistes sont condamnés par leur métier à une persuasion fondée sur trois ‘violences’ descriptives : exagération, stéréotypisation, répétition ». Quelques émissions-débats notamment restent une fabrique du sens commun sur la question de la banlieue comme berceau des attentats terroristes, et ne cherchent aucunement à court-circuiter les préjugés et stéréotypes des spectateurs.
Tout classiquement, l’existence d’un effet de cadrage dans le travail des journalistes reste à considérer. En effet, des enjeux sociopolitiques étoffent le discours médiatique ; Au cas où les journalistes décident d’être rationnels, d’être plus autonomes et de faire preuve d’un exercice critique, ils se retrouvent en posture difficile tant face aux autorités que face à la société. Donc, le chemin le plus assuré est d’essayer de s’aligner à la logique du discours politique et là ils auront certainement du mal à faire entendre leur propre voix.
A cet égard, il convient de rappeler le fait que, par définition, les médias sous-entendent une ambigüité : D’un coté, ils sont considérés comme des dispositifs de communication, des instruments techniques et des intermédiaires organisant les relations entre les citoyens et la scène politique ; aucune vie politique ne peut exister sans opinion publique et il n y a pas d’opinion publique sans communication.
D’un autre coté, les médias font, d’emblée, partie du jeu politique. Ils en sont soit en opposition, soit en immersion profonde.
L’écrivain Alfred de VIGNY disait: « La presse est une bouche forcée d’être toujours ouverte et de parler toujours. De là vient qu’elle dit mille fois plus qu’elle n’a à dire et qu’elle divague souvent et extravague.»
Du coup, les questions qui se posent avec acuité se présentent comme suit : Les journalistes se sentent-ils vraiment contraints par certaines prescriptions ? L’information journalistique est-elle donc
une ? Au-delà des contraintes journalistiques tout court, l’évolution de la présentation desdits contraintes est à signaler. Prenons l’exemple du travail de terrain ; avant même la médiatisation des attentats terroristes, les journalistes redoutaient les enquêtes sur terrain et ce à cause des expressions de type « fais attention à ta caméra, sois prudent, etc. » mais l’accès au terrain était envisageable. Actuellement, l’accès au terrain est d’autant plus compliqué qu’instable. Donc le sentiment d’anxiété et d’inquiétude a beaucoup évolué chez le journaliste.
Par ailleurs, dans le traitement médiatique de la question du terrorisme et des banlieues, il existe non seulement des recettes liées au champ journalistique, mais aussi des éléments qui relèvent de notre propre construction des quartiers populaires. Cette co-construction contribue profusément à la marginalisation des habitants desdits quartiers.
Dans le même ordre d’idée, notre conception de la femme de la banlieue procède d’une construction médiatique assez étudiée de la figure de la femme en banlieue ; La conversion religieuse et l’extrémisme ne sont plus réservés qu’aux hommes, les femmes sont également sujettes au radicalisme surtout si elles sont issues des quartiers sensibles, elles sont facilement influençables. Telles sont les amalgames auxquels les médias contribuent. Certes, personne ne peut nier que les conditions dans lesquelles ces femmes vivent sont difficiles et par là diffèrent énormément de la situation des personnes aisées. Mais cela ne fait pas de ces femmes une catégorie anormale, opprimée, soumise et sans voix. Il serait plus judicieux de penser aux combats permanents de ces femmes, aux multiples initiatives pour sortir de l’image stéréotypée portée essentiellement sur les mass médias.
Subséquemment, ce n’est pas un hasard si la majorité des gens s’accorde à apercevoir le quartier populaire comme le lieu d’émergence des mouvements terroristes. Les médias ne font que gonfler un certain nombre de faits et le diffuser afin d’attirer l’attention du public, quelque soit les contrecoups. Comment expliquer donc cette fabrique de la marginalité et cette cécité à la réalité ?
Média : Une alarme assourdissante
En traitant des banlieues, au lieu de dévoiler les problématiques de fond, les médias ne cessent de faire le focus sur les déviances. Les représentations stéréotypées de la banlieue, mettent en relief cette dernière comme un lieu accueillant toute sorte de banditisme, de radicalisme et de délinquance, tandis qu’ils ne prennent pas en compte ce qui s’y passe en termes de santé, d’éducation et d’emploi. Ce tournant revient au fait que les médias ne font que reproduire ce que pense la masse à propos de la dualité banlieue-terrorisme. De ce fait, il est question de mettre de côté le « médiacentrisme » ; il serait plus raisonnable de se détacher de l’idée qui repose sur le fait que les mass médias sont les seuls et uniques responsables de la marginalité des banlieues.
Dans cet ordre d’analyse, peut-on affirmer que la ségrégation des quartiers populaires renforce leur stigmatisation ? Guy Antonetti, un architecte qui a travaillé sur les quartiers populaires de Marseille, souligne que le problème des habitants des banlieues n’est pas un problème de forme urbaine mais principalement un problème d’exclusion sociale, de chômage, de malaise familial et de précarité économique.
Finalement, le terrorisme ne se situe pas nécessairement à l’intérieur des quartiers populaires. Le fait d’attribuer aux banlieues l’origine des attentats terroristes n’est qu’un reflet direct d’un esprit simpliste, borné, aliénant et pernicieux. Les médias assument une grande part de
responsabilité à cet égard. Dès lors, une prise de conscience, de ce tournant qui se fait jour, s’avère indispensable afin de sortir du véritable décalage existant entre l’image donnée par les médias et la réalité sur le terrain.

 

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Habiba El Mazouni
Habiba El Mazouni
Future journaliste politique, Habiba El Mazouni a eu sa licence en Sciences de l'information; une convergence des deux champs disciplinaires que sont la science de l'information et la documentation. Un an plus tard, elle réussit sa première année Master en Sciences Politiques et Relations internationales, tout en ayant un intérêt particulier à l'analyse des politiques publiques. Ses préoccupations principales s'entourent autour des jeux de pouvoirs sous-jacents aux politiques publiques, du traitement médiatique des minorités visibles notamment les immigrés, les habitants des banlieues, les gens ayant des métiers dévalorisés socialement etc. En sus de cela, Habiba est active dans le milieu associatif essentiellement dans les assocs favorisant le débat et l'éloquence. Elle est une personne passionnée de chant classique arabe.

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